Projections d’une année sabbatique

« Hé Mademoiselle, vas-tu t'inscrire à la faculté de médecine ou au conservatoire ? Dans quelques mois, tu passeras tes examens d’entrée à la fac : as-tu commencé à prendre des cours particuliers ou te démènes-tu toute seule ? Vas-tu porter une toge ou une robe lors de la remise des diplômes ? Est-ce que tu comptes « sauver ta réputation » ou tu y vas « au petit bonheur la chance » ?  Vas-tu passer tes examens finaux sous cette chaleur ? As-tu fait des copies de tous tes relevés de notes ? As-tu déjà acheté tous les livres pour le premier semestre ? »

Je m'en souviens parfaitement : le stress, l'anxiété et ce faux sourire que je me forçais à avoir afin d’ajouter un peu d’amour-propre à la mine déconcertée que j’affichais. Et puis les professeurs qui nous harcelaient pour que nous mémorisions le plus de citations possible pour nos examens. Les parents qui nous mettent la pression pour décider, comme tout le monde le fait à ce stade, de l'université à intégrer. Les grands-parents qui exhortent leur petite-fille intelligente à aller en école de médecine, bien sûr. Puis le stress supplémentaire de la préparation du jour de la remise des diplômes, tout en ayant en tête l'éternelle question qui me ronge de l'intérieur : est-ce que je fais le bon choix ? Mais avant de pouvoir me rebeller contre toute cette pression, je tombais de Charybde en Scylla, pensant avoir échappé au pire : les examens universitaires.

Que ferais-je différemment si je devais revivre cette période ? Après avoir été élevée en regardant beaucoup de films américains, j'ai toujours voulu vivre la même chose que les gens se trouvant de l'autre côté de l'océan. Il y a quelques mois, j'ai enfin pu en faire brièvement l’expérience et réaliser que les rêves peuvent aussi se réaliser avec peu d'argent et beaucoup de soutien familial. Certains appellent cela une année sabbatique, une année de transition ou une année de césure. Certains le font après avoir obtenu leur diplôme universitaire, après avoir divorcé ou pendant leur crise de la quarantaine. Moi, j'appelle cela « un rêve à échéance ».

Pourquoi prendrais-je une année sabbatique après le lycée ? Pourquoi à ce moment-là et pas après l'université ?

Je ne le ferais certainement pas pour gagner de l'argent ni pour faire une pause dans mon apprentissage. Et encore moins si c’était pour décevoir mes parents qui ont soutenu mon épanouissement scolaire pendant tant d'années.

Je ferais une pause après le lycée car, très souvent, plus tard, c'est trop tard. Plus tard, je n'aurai pas le prétexte de la jeunesse et le désir idéaliste de changer le monde. Plus tard, je serai prise dans des activités incessantes afin de payer mes charges et mes factures. Plus tard, je serai emprisonnée par des obligations à long terme. Plus tard, je passerai tout mon temps à lire des réglementations d’entreprises et je n'aurai pas le temps de relire les classiques qui m'ont échappés au lycée. Plus tard, je serai hantée par la peur de l'instabilité professionnelle, bernée par une fausse conception de la sécurité de l’emploi. Plus tard, ma liberté sera restreinte, car je n’en aurais fait qu’à ma tête, et mes désirs inassouvis d’alors se solderont par une crise de la quarantaine.

On pourrait penser que je fais partie de cette vaste majorité de personnes insatisfaites qui ont choisi la mauvaise filière. Mais si je devais choisir à nouveau, je referais la même chose, avec encore plus de certitude que la première fois. Il y a d'autres raisons pour lesquelles je ferais une pause : pour respirer un grand coup et apprécier le spectacle [que la vie m’offre].

Je ferais une pause d'un an. Une année sabbatique pour faire autre chose. Apprendre sans me cogner les genoux contre la structure déformée des bureaux de mon école. Une année de développement personnel. Non pas à la manière d’une course contre la montre, en compétition permanente avec 31 autres collègues qui ont des compétences et des intérêts si différents des miens ! Une année pour lire, sans être obligée d'apprendre par cœur des centaines de citations écrites par de « grandes figures littéraires ». Une pause pour aider mes parents à comprendre mes préoccupations et pas seulement mes dernières notes.

Une année où j'investirais dans des loisirs. Des cours de photographie ? Des cours de couture ? Des cours de secourisme ? Ou peut-être dans des cours guitare ? J’en ai toujours rêvé !

Une année où je me soucierais moins des opinions populaires et plus de ceux qui offrent une alternative au statu quo. Une année pour apprendre à me repérer dans une ville étrangère, au lieu de rejoindre la masse désorganisée des diplômés dans les couloirs universitaires.

Une année où j'écrirais à l'envers, en partant de la fin pour aller vers le début, en diagonale ou à l'horizontale, uniquement dans les coins ou en retournant les cahiers. C'est bien là l'avantage d'une feuille de papier unie et vide : on peut y écrire n'importe quoi, de n'importe quelle manière, sans se limiter au cadre du papier quadrillé.

Une année où je mettrais à part quelques mois pour faire du bénévolat ou réaliser un stage à l’international. Pour fourrer mon univers dans un bagage à roulettes, mettre des baskets confortables et rencontrer toutes sortes de gens exceptionnels. La Grèce ? La Turquie ? L'Afrique ou les Philippines ? Rencontrer des réfugiés, des personnes maltraitées ou des victimes de l’obscurantisme ?

Un an pour voyager. Je travaillerais et me rendrais peut-être compte que les filles peuvent aussi transpirer. Un temps pour au moins trouver ce que je détesterais faire, à défaut de trouver ce que j'aimerais faire. Une année pour améliorer une langue étrangère et apprendre l'humilité. Une année pour avoir des joues tannées par le soleil et respirer l'odeur des feux de camp. Une année à chercher et à me chercher parmi les âmes égarées qui ont besoin d'affection, à travers les rues n'apparaissant pas sur les cartes ou en parcourant les pages remplies de trésors d'une liseuse d'occasion.

Une année pour comprendre ce que je veux faire, comment le faire et surtout pourquoi. Une année pour perdre mes repères dans le but de les retrouver et m’y ancrer dix fois plus profondément. Une année pour découvrir des parties de mon être au travers de lieux inconnus et d’expériences auxquels je ne me suis encore jamais confrontée. Une année pour naviguer au cœur des récits de mes semblables et coucher le mien par écrit.

Une année pour découvrir la beauté de cet univers que Dieu a créé. Une année pour apprendre à m'aimer et à partager cet amour avec tous, en suivant l'exemple que Jésus nous a donné : «Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta pensée. C'est le premier et le plus grand commandement. Et voici le second, qui lui est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépendent toute la loi et les prophètes. » Je prendrai le temps de lire la Bible et de comprendre le sens du sacrifice de notre Dieu. Un an pour prendre l'habitude d'exprimer quotidiennement ma gratitude pour tout ce dont Il m'a béni.

J'ai maintenant 20 ans. Je me suis rendue compte qu'il est tard. Est-ce trop tard ?

Dans un an, j'aurai ma licence. Devinez ce qui commencera alors ?

Une année d’un genre tout autre...

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